II y avait du monde, sur la place, là-bas, pas bien loin de la vigne. Un monde qui regardait la vigne avec envie. Hommes et femmes sans travail, refoulés, rejetés comme objets inutiles, qui ne servaient plus à rien, dont personne ne voulait et qui attendaient là, dans le froid du matin. Hommes et femmes sans toit, de partout, de nulle part, repoussés aux frontières comme objets encombrants, ou jetés à la rue comme objets périmés et qui attendaient là, brûlés, en plein soleil. Et jeunes sans avenir, et enfants mutilés, et vieux oubliés là, au soir même de leur vie. Mais personne n’embauchait.
Mais voici que le maître de la vigne sortit, à toute heure du jour. Matin, midi et soir, il allait sur la place, il embauchait tout le monde. Et bientôt il y eut beaucoup de monde dans sa vigne. Des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux, des grands et des petits, des gens de toutes les couleurs et de toutes tendances. Et des durs et des purs qui, depuis le matin, travaillaient sans relâche. Et puis des ouvriers de la toute dernière heure. Ceux qui travaillaient bien et qui en étaient fiers. Et puis ceux qui peinaient. Et le maître embauchait.
Mais dans l’Eglise-vigne commencèrent alors les récriminations. Ceux de la première heure, les bons et les fidèles, ceux qui obéissaient au règlement de travail, ceux qui avaient mouillé leur chemise pour bien faire, se mirent à se plaindre de ne pas être mieux traités que les autres qui n’avaient pas fait grand-chose. Le maître de la vigne, lui, ne calculait pas. II avait toujours eu un faible pour les petits, les derniers, les pécheurs. Et il dit aux premiers : « Allez-vous regarder avec un œil mauvais parce que moi, je suis bon ? » Et le maître aimait.