« C’est parce que je vous ai donné à manger que vous me cherchez », dit-il. Car nous étions partis à la recherche d’un Dieu qui satisferait nos appétits les plus fous et comblerait nos manques. Qui ferait tomber la pluie où nous voulons qu’elle tombe et briller le soleil où nous le souhaitons. Et il nous suffirait d’ouvrir une grande bouche pour qu’y tombe la manne. Et nous pourrions rêver d’un Dieu qui serait si évident qu’on pourrait se passer et du monde et de l’homme. Et nous pourrions rêver d’un monde où nous serions tellement comblés, heureux, que l’on pourrait aller jusqu’à se passer de Dieu.
Mais, lui, prenant la barque, leur avait échappé. Car Dieu n’est pas à prendre. Comme une certitude qui nous dispenserait de le chercher encore. Dieu, personne ne peut mettre la main dessus, ni puissant de ce monde, ni croyant, ni voyant, ni berger, ni gourou, ni pape, ni évêque. Nul n’en a l’apanage, ni groupement, ni parti, ni bienfaiteur insigne, ni religion, ni Eglise. Dieu, à peine a-t-on cru le saisir, l’arrêter, en prendre possession, que déjà il a pris la barque et qu’il est loin. II est l’insaisissable.
Puis, il leur avait dit : « Je suis le pain vivant, le pain venu du ciel. » Le pain pour ceux qui marchent, non pour ceux qui s’arrêtent. Le pain que l’on partage, non le pain que l’on garde. Le pain pour ceux qui cherchent, non pour ceux qui possèdent. Le pain qui n’est le bien d’aucune religion, d’aucune autorité, libre comme l’Esprit, libre de tout pouvoir, d’hier ou de demain. Le pain qui n’appartient à personne sauf à Dieu. Mais comment aurions-nous encore faim de ce pain-là, si notre seul souhait est d’être toujours comblé et de ne plus avoir faim, de rien ni de personne ?