S’il est un évangile qui subvertit nos échelles de valeurs habituelles et nous invite à nous ancrer dans la foi pascale, c’est bien celui de ce dimanche. De fait, Jésus nous y apprend un autre rapport à la vie et à la mort, à nous-mêmes et à autrui. Car qui, spontanément, souhaite se faire le serviteur de tous et se mettre à la dernière place ? Qui, d’emblée, vit sans mouvement de recul sa vulnérabilité symbolisée par le petit enfant ? Qui, enfin, envisage lucidement son existence comme une marche vers la mort et la perçoit comme l’occasion d’un don ?
Alors la tentation peut être grande de nous dire que ce message-là n’est pas fait pour nous. Mais pourquoi ne pas y reconnaître un appel à évangéliser notre vœu de bonheur et consentir au labeur de la conversion promis à la joie? Cette joie paradoxale d’être unis au Christ dans sa résurrection, non sans être passés, au préalable et comme lui, par la mort. Une mort dont il nous révèle la fécondité si nous l’intégrons au jour le jour en mourant à nos égoïsmes, à notre approche utilitaire de la vie et d’autrui, à nos volontés de puissance qui nous éloignent de notre vérité, nous enferment dans un personnage et nous font passer à côté d’une vraie relation avec Dieu et avec nos semblables. Quant à notre vulnérabilité, à nous de l’apprivoiser et de découvrir qu’en nous acculant à ne pas nous appuyer sur nos seules forces, elle nous tourne vers Dieu, nous rendant de surcroît solidaires de nos frères et sœurs en humanité.
À nous donc d’accueillir, dans la liberté de l’Esprit, le bonheur que nous offre le Christ ; lequel n’est pas du côté de l’avoir et du pouvoir, mais de la vérité de notre être, de sa capacité à se donner et à faire de toute circonstance un lieu de rencontre potentiel avec Dieu et tous ceux qu’il place sur notre route.